Le Portrait (russe : Портрет) est un opéra en un acte et huit scènes de Mieczyslaw Weinberg sur un livret d'Alexandre Medvedev d'après la nouvelle Le Portrait de Nikolaï Gogol.
Composé en 1980, il est créé le 20 mai 1983 au Théâtre National de Brno.
L'ouvrage est rejoué en 1992 par l'Opéra de chambre de Moscou, en 2010 au Festival de Bregenz et en avril 2011 à Nancy par l'Orchestre national de Lorraine dans une version en russe.

Argument

Un peintre désargenté trouve de la peinture magique qui lui pose un dilemme. Soit tracer sa propre voie d'artiste sur son seul talent ou s'aider de cette peinture magique pour devenir riche et célèbre.
Il choisit de devenir riche et célèbre mais au bout d'un certain temps se rend compte qu'il a fait le mauvais choix.

Né à Varsovie en 1919 dans une famille juive, Mieczyslaw Weinberg échappe à l’holocauste qui emportera la majorité de sa famille en s’enfuyant en Union soviétique en 1939 lors de l’invasion de la Pologne par les Nazis.
De nouveau persécuté sous Staline mais protégé et soutenu par Chostakovitch, il laisse un corpus impressionnant et éclectique de plus de 500 ouvrages, dont 22 symphonies et 7 opéras,
mais aussi des musiques de films – Quand passent les cigognes, c’est lui –, de théâtre, de cirque ou de dessins animés.
Il s’éteint dans la misère à Moscou en 1996.
Son œuvre commence seulement à être redécouverte, réévaluée et jouée et Weinberg apparaît désormais comme «le troisième grand compositeur soviétique aux côtés de Prokofiev et Chostakovitch».
Si La Passagère est son opéra le moins méconnu et probablement son chef-d’œuvre dans le domaine lyrique, Le Portrait sur une nouvelle de Gogol vient juste derrière.
L’histoire est celle du jeune peintre plein d’avenir et d’illusions Chartkov qui, à la suite de l’achat d’un portrait au regard mystérieusement vivant, connaît la richesse (le tableau recèle une prodigieuse somme d’argent),
et devient le portraitiste attitré de la bonne société de Saint-Pétersbourg,
qu’il sait flatter en lui offrant des représentations idéalisées d’elle-même. Mais la conscience d’avoir galvaudé son talent et dévoyé son art le conduit à la folie et à la mort.
Bien que terminée en 1980, la partition regarde franchement en arrière, vers les années cinquante, et évoque souvent les opéras de Chostakovitch, notamment dans ses rythmes motoriques, ses violents paroxysmes et cet alliage si slave de tragique et de grotesque.
Toutefois, Weinberg se démarque en ménageant de longues plages de suspension d’un lyrisme intense, en puisant sa thématique dans le folklore russe ou juif et en privilégiant dans son orchestration les instruments solistes.
Si tout n’est pas évidemment d’une hauteur constante, cette œuvre kaléidoscopique offre des fulgurances inspirées et un sens du théâtre et du soutien de l’intérêt dramatique saisissants.
A une époque où l’on remonte la moindre resucée baroque ou la plus insignifiante œuvrette post-romantique, voilà enfin un ouvrage qui méritait pleinement d’être sorti de l’ombre.

Mieczysław Weinberg’s opera in three acts, Portret (The Portrait), will have its Polish premiere on 6 December 2013, at Teatr Wielki (Grand Theatre) in Poznań.
Directed by David Pountney, the current adaptation of the original Portret (1980) previously premiered at London's Lowry Theatre and was very well received. U.K. based Opera North Production’s remake is now coming to its homeland at the Teatr Wielki stage, which has made significant historical contributions to shaping the image of opera in Poland, recently celebrating its 100th anniversary in the year 2010.
Inspired by Nikolai Gogol’s story of the same name (1835), Weinberg composed the opera to a libretto by Aleksander Miedwiediew. The first performance of Portret was held in 1983 at the National Theatre in Brno, Czech Republic. Independent on Sunday reviewed Opera North Production's U.K. adaptation of Portret as: “Musically subtle and tautly sung.”
Mieczysław Weinberg, also known as Wajnberg in Polish (1919-1996), was born in to a Jewish family in Warsaw. He lived and studied in Warsaw until his family moved to the Soviet Union at the outbreak of war in 1944. Music experts from the former Soviet Union considered Mieczysław Weinberg as one of the most interesting composers after his mentor, Dmitri Shostakovich. Apart from Alexandre Tansman and Andrzej Panufnik, Weinberg was one of the few Polish composers in exile, who managed to interest the most outstanding performers in his music. His compositions include several dozen symphonies, concerts, choral pieces, chamber pieces and movie scores. In terms of the opera, he is the author of as many as seven pieces – The Passenger (1968), composed to the libretto based on a short story by Zofia Posmysz, D’Artagnan in love with the libretto drawing on Alexandre Dumas’ novel, Well done!, and other pieces based on the works of Bernard Shaw, Fyodor Dostoyevsky and Nikolai Gogol.
The upcoming Poznań premiere on 6 December, 19:00 is sung in Russian with Polish subtitles. The project is financed by the Ministry of Culture and National Heritage.

 

Venu régler en 2008 à Nancy la mise en scène de Divorce à l'italienne de Giorgio Battistelli, David Pountney a fait une proposition à Laurent Spielmann, directeur de l'Opéra national de Lorraine : l'associer à la redécouverte du Portrait (1980) de Mieczyslaw Weinberg (1919-1996), oeuvre quasiment inconnue depuis sa création à Brno en 1983, perdue dans une production pléthorique et largement instrumentale. Quelques semaines après Opera North à Leeds, qui l'a monté en anglais, Nancy a donc eu le bonheur d'accueillir en première française (et dans sa langue russe originale) un ouvrage efficacement tiré de la nouvelle de Gogol, une réflexion sur la difficulté de l'artiste à résister aux sirènes de l'argent et de la gloire, aux exigences de ses commanditaires, au conformisme - le peintre Chartkov en mourra, obsédé par la vanité de son travail. On peut imaginer à quel point la problématique soulevée par Gogol dans la Russie tsariste a pu toucher Weinberg au plus profond de lui-même, lui qui fut emprisonné sous le stalinisme finissant pour "activités sionistes" et dut au-delà composer avec les attentes du régime soviétique en matière d'art. Sur scène, Staline est l'un de ces puissants grotesques, montés sur échasses, qui écrasent le peintre de leurs diktats (fin du IIe acte) ; puis son portrait est partout, ses yeux laissant passer de manière menaçante la lumière apportée par l'Allumeur de réverbères, personnage récurrent de l'ouvrage (début du III) - Big Brother vous regarde...
Le spectacle, un peu distendu au Ier acte, parfois surligné (crâne de "vanité" au finale), a le mérite de la lisibilité : n'est-ce pas ce que l'on attend pour un premier contact avec une oeuvre ? En outre les idées abondent (cet atelier aux murs colorés comme la palette du peintre, ces mains perçant les parois dans un songe, ce plateau aveuglé de lumière quand tout s'éclaire pour l'artiste, ces silhouettes en ombres chinoises...), et l'émotion grandit avec les délires de Chartkov, dont Psyché scrute l'âme tourmentée à l'aide de la vidéo. Ce visage, c'est celui du ténor américain Erik Nelson Werner : timbre rond, projection fière, lyrisme de l'expression, sans oublier un engagement dans le répertoire slave reconnu jusqu'au Met (De la maison des morts de Chéreau). Beaucoup de qualités alentour (Nikita très libre de Evgeny Liberman), jusque dans les petits rôles (Liza impayable, en poupée motorisée, de Diana Axentii).
L'orchestre, que le compositeur chérissait (vingt-deux symphonies !), est un personnage lui aussi, doté d'un rôle dramatique moteur : Gabriel Chmura, champion de Weinberg, a mené un travail de fond à la tête de l'Orchestre symphonique et lyrique de Nancy, auquel il manque juste une touche d'ironie et de sombre mélancolie pour séduire tout à fait. En 1980, cette partition qui assume sa généalogie russe, du Groupe des Cinq à l'ami Chostakovitch, pouvait sonner comme un défi à la modernité ; trente ans plus tard, c'est plutôt le métier et la sincérité du compositeur qui nous touchent. Et l'on n'a qu'une envie : découvrir ses six autres opéras, à commencer par La Passagère, que le curieux Pountney a ressuscitée au Festival de Bregenz (à voir en DVD chez Neos).

Donnée en création française et en coproduction avec Opera North de Leeds, c’est une rareté absolue que propose l’Opéra national de Lorraine avec Le Portrait, opéra quasiment inconnu – il n’en existe à notre connaissance aucun enregistrement – d’un compositeur encore largement ignoré, le russe d’origine polonaise Mieczsylaw Weinberg.


Erik Nelson Werner (Chartkov)
© Opéra national de Lorraine

Les deux maîtres d’œuvre de cette exhumation sont, à parts égales, le metteur en scène David Pountney et le chef d’orchestre Gabriel Chmura. Le premier a déjà présenté La Passagère et Le Portrait au Festival de Bregenz, dont il est directeur artistique. Dans une Saint-Pétersbourg déstructurée, aux murs de guingois couverts des touches expressionnistes et bigarrées d’une palette de peinture, il présente un spectacle animé et haut en couleurs. Aux deux premiers actes, il privilégie un peu trop la farce au détriment de l’introspection et du lyrisme, réussissant au passage un portrait au vitriol de la haute société qui se presse dans l’atelier de Chartkov, irrésistible galerie de fanfarons de carnaval grandis par des échasses. Au troisième acte, après l’entracte, l’atmosphère se glace avec l’entrée de l’art officiel sous forme de portraits démultipliés de Staline (dont Weinberg a tant souffert) comme autant de Big Brothers puis s’épure judicieusement pour laisser l’émotion monter jusqu’à la fin de l’agonie du héros. Le chef Gabriel Chmura a lui aussi beaucoup œuvré pour la redécouverte de Weinberg, enregistrant notamment ses symphonies pour le label Chandos. Il démontre à nouveau son intérêt et sa profonde affinité avec cette musique, assumant ses contrastes, marquant sa rythmique et soignant sa parfaite mise en place. Dans cette partition difficile, où les solistes sont successivement surexposés, l’Orchestre symphonique et lyrique de Nancy magistralement préparé brille par sa concentration, son ardeur, sa précision et la saveur de ses timbres.
D’une distribution homogène et de grand format émerge tout particulièrement le ténor Erik Nelson Werner dans le rôle crucifiant du peintre Chartkov. Présent en scène quasiment durant tout le spectacle, affrontant une tessiture héroïque de plus en plus tendue au cours de la soirée, il y montre une endurance et une puissance impressionnantes couplées à des capacités de demi-teinte et de pur lyrisme remarquables, sans oublier une aisance confondante dans la langue russe. Face à lui, dans le rôle du domestique Nikita, le baryton Evgeny Liberman séduit par sa jeunesse, son naturel, son énergie communicative et l’éclat d’une voix sonore et bien timbrée. Claudio Otelli campe une pittoresque série de caractères bien différenciés, du Marchand d’art au Professeur, du Journaliste au Duc, tandis que la mezzo-soprano Svetlana Sandler impose une vieille Noble savoureuse et cocasse quoique vocalement trop vociférante et que Yuree Jang nous gratifie d’aigus cristallins superbes. Enfin, la complainte pleine de rêve et de poésie de Dimitris Paksoglou en Veilleur de nuit ouvre et ferme le spectacle, rappelant à un siècle de distance celle de l’Innocent de Boris Godounov.

Edited by E.M., 03/12/2013