The Lost Works
Melism MLSCD011
Nina Pissareva Zymbalist, violon.
Christophe Sirodeau, piano.
Enregistré à l’Église Évangélique, à Paris, en juillet 2001 et entre mars et octobre 2018.
Notice en français et anglais.
Durée totale : 59 :44

 

 

Samouïl Feinberg (1890-1962) :
Sonate pour violon et piano n° 1 op. 12
Fantaisie pour piano n° 1 op. 5.
Suite pour piano n° 1 op. 11.

Hans (ou Hanuš) Winterberg (1901-1991) :
Sonate pour piano n° 1 (1936)
Suite pour piano Theresienstadt .(1945)

Chefs-d’œuvre inconnus de Samuel Feinberg et de Hans Winterberg
A l’exception de la Suite Op. 11 de Samouïl Feinberg, ces œuvres sont des premières mondiales au disque tout comme les partitions de Hans Winterberg.
Autant de découvertes importantes par Christophe Sirodeau qu’il faut absolument programmer en concert

Christophe Sirodeau avait, aux côtés de Nikolaos Samaltanos, ressuscité pour le label suédois Bis Records, les 12 Sonates de Feinberg, chasse-gardée jusqu’alors des interprètes russes. Le très documenté livret rédigé par le pianiste évoque, en détail, les étapes qui ont permis la redécouverte de la Sonate pour violon et piano de 1912. Une œuvre superbe, marquée par le postromantisme, alors que Feinberg s’éloigne de l’influence du dernier Scriabine. L’écriture paraît curieusement assez “franckiste” avec ses lignes mélodiques tournoyantes. Les rythmes complexes, chargés de syncopes enrichissent un Allegro initial pointilliste. Les couleurs se dissolvent par la suite dans un climat d’élégie, le violon offrant des teintes proches de l’alto. Le lyrisme de la Fantaisie pour piano dans sa version originale de 1917, est plus enchanteur encore. Cette pièce d’un seul souffle assure un grand écart entre un contrepoint serré (Feinberg fut un extraordinaire interprète de Bach) et une harmonie sans cesse évolutive, dans une filiation wagnérienne. Sous-titrée 4 pièces en forme d’études, la Suite op. 11 de 1919 se souvient, à la manière d’une estampe, des harmonies de Chopin (Préludes) et de Rachmaninov (Moments musicaux). Sa vivacité élégante joue aussi d’esquisses de thèmes, sortes de réminiscences à la Medtner et de visions fugitives à la Prokofiev. L’interprétation de Sirodeau – tout comme celle de la violoniste Nina Pissareva Zymbalist dans la Sonate – traduit les éclats sonores de ces pièces avec autant de précision que de sensualité. On songe aux irisations sonores d’un Sofronitzky jusque dans l’utilisation importante et judicieuse de la pédale forte.

Associer Feinberg au compositeur d’origine tchèque, Hans (ou Hanuš) Winterberg est étonnant. Là, encore, nous découvrons deux partitions en première mondiale. Si ses pièces orchestrales connurent une certaine notoriété notamment grâce au Philharmonique de Munich, sa musique fut, au fil des années, de moins en moins programmée. Pour des raisons familiales complexes, son œuvre ne pouvait être de nouveau jouée avant 2031. En 2015, des décisions de justice permirent de redécouvrir un catalogue de pièces aussi nombreuses que splendides.

Datée de 1936, la Sonate pour piano n°1 est d’une écriture volubile et aux idées musicales obsessionnelles. On songe ici à Berg et au premier Schoenberg avec, dans le cas de Winterberg, une dramaturgie plus “cassante” et la volonté de rompre avec l’influence postromantique. D’un style épuré, jouant sur des harmonies légèrement mouvantes, l’Adagio dévoile une quête d’une paix intérieure rompue par des élans de marches. Le finale, sans véritable tonalité définie, manie d’astucieuses progressions et empilements de rythmes brisés sur des silences interrogatifs. La Suite 1945 sous-titrée Theresienstadt car composée dans le camp de concentration, évoque l’idée de l’enfermement. Des motifs répétitifs et lapidaires (praeludium) sont suivis d’une procession funèbre (intermezzo). Le brio du postludium conclut brièvement et dans une angoisse perceptible, cette superbe pièce. En narrateur hors pair, Christophe Sirodeau restitue avec bonheur, l’univers propre de chaque œuvre.

29 août 2019 Stéphane Friédérich