1938 La mort [for soprano, alto, piano]

Texts by Charles Baudelaire (1821-1867)
 

1. La mort des artistes

 Combien faut-il de fois secouer mes grelots
 Et baiser ton front bas, morne caricature?
 Pour piquer dans le but, de mystique nature,
 Combien, ô mon carquois, perdre de javelots? 

 Nous userons notre âme en de subtils complots,
 Et nous démolirons mainte lourde armature,
 Avant de contempler la grande Créature
 Dont l'infernal désir nous remplit de sanglots! 

 Il en est qui jamais n'ont connu leur Idole,
 Et ces sculpteurs damnés et marqués d'un affront,
 Qui vont se martelant la poitrine et le front, 

 N'ont qu'un espoir, étrange et sombre Capitole!
 C'est que la Mort, planant comme un soleil nouveau,
 Fera s'épanouir les fleurs de leur cerveau! 

2. La mort des amants

 Nous aurons des lits pleins d'odeurs légères,
 Des divans profonds comme des tombeaux;
 Et d'étranges fleurs sur des étagères,
 Ecloses pour nous sous des cieux plus beaux,
 
 Usant à l'envi leurs chaleurs dernières;
 Nos deux coeurs seront deux vastes flambeaux,
 Qui réfléchiront leurs doubles lumières
 Dans nos deux esprits, ces miroirs jumeaux.
 
 Un soir fait de rose et de bleu mystique
 Nous échangerons un éclair unique,
 Comme un long sanglot tout chargé d'adieu,
 
 Et plus tard un ange, entrouvrant les portes,
 Viendra ranimer, fidèle et joyeux,
 Les miroirs ternis et les flammes mortes.


3. La mort des pauvres

 C'est la Mort qui console, hélas! et qui fait vivre;
 C'est le but de la vie, et c'est le seul espoir
 Qui, comme un élixir, nous monte et nous enivre,
 Et nous donne le coeur de marcher jusqu'au soir;

 A travers la tempête, et la neige, et le givre,
 C'est la clarté vibrante à notre horizon noir;
 C'est l'auberge fameuse inscrite sur le livre,
 Où l'on pourra manger, et dormir, et s'asseoir 

 C'est un Ange qui tient dans ses doigts magnétiques
 Le sommeil et le don des rêves extatiques,
 Et qui refait le lit des gens pauvres et nus;

 C'est la gloire des Dieux, c'est le grenier mystique,
 C'est la bourse du pauvre et sa patrie antique,
 C'est le portique ouvert sur les Cieux inconnus!