Poèmes Juifs

Darius Milhaud (1892-1974), op. 34 (1916)
Traduction de l'hébreu
 

1. Chant de nourrice

  Dors, ma fleur, mon fils chéri;
 pendant que je balancerai ton berceau,
 je vais te dire le conte de ta vie.
 Je commence par te prévenir que tu es un Hébreu,
 Que tu as Israël pour nom
 et que c'est là ton titre de noblesse.
 Ô mon chéri, quand tu seras avec des gens
 étrangers à ton peuple,
 ne sois pas honteux devant leurs insultes
 mais responds-leur bien haut.
 Oh! je te prie, sois sans peur aucune,
 dis leur: "Ne suis-je pas le descendant des saints,
 fils du peuple eternal?"
 Fils du peuple éternellement persécuté
 malheureux comme point d'autre, glorieux quand même,
 car il dure, et cela depuis des siècles
 et cela pour toujours.
 Ne désespère point, mon fils chéri
 parceque ton peuple est en exil.
 Crois plutôt que le soleil de la justice
 un jour brillera sur nous.
 Souviens-toi sans cesse que nous avons un pays,
 là-bas, très loin, que c'est vers lui
 que l'âme de tout juif aspire avec ardeur.
 Sur ses monts, dans ses champs délicieux
 tu deviendras ce que tu voudras:
 vigneron, berger, planteur, jardinier,
 tu vivras paisible....
 Dors ma fleur, mon fils chéri.
 
 
 

2. Chant de Sion

  Ce n'est la rosée ni la pluie,
 ce sont mes larmes qui arrosent,
 Ô Sion, tes montagnes.
 Ce n'est pas le feu ni le soleil,
 c'est notre sang qui fait rougir,
 Ô Sion, tes cieux!

 Et une vapeur monte,
 formée des larmes de nos yeux
 jusqu'au ciel, et devient de la pluie,
 Et ces eaux douces apaisent notre esprit,
 l'esprit de ceux qui pleurent Jerusalem.

 Ces larmes des yeux
 sont une consolation pour l'âme,
 un remède au coeur brisé;
 ce sont elles qui fortifient les coeurs abattus
 et qui apaisent l'âme agitée.
 
 

3. Chant de laboureur

  Mon espérance n'est pas encore perdue,
 Ô patrie douce aimée,
 de trouver sur ton sol
 un coin pour m'y établir
 avant que ma fin n'arrive...

 une maisonnette sur le sommet d'une colline
 au milieu d'un jardin de légumes
 et d'arbres fruitiers,
 une vigne abondante en grappes,
 une source limpide jaillissant avec bruit.

 Là-bas, sous le feuillage d'un arbre touffu
 je travaillerai, je respirerai légèrement.
 Devant les ruines environnantes
 j'épancherai mon coeur,
 je demanderai a quand la fin de la colère?

 Mais lorsqu'aux confins des vallées
 j'entendrai le chant de mes frères vigoureux
 je dirai voilà la fin des tristesses!
 Voilà la fin des malheurs.
 
 
 

4. Chant de la pitié

  Dans les champs de Bethléem, une pierre
 se dresse solitaire, antique tombe.
 Mais dès que minuit sonne, on voit
 une Beauté quitter sa demeure souterraine
 pour venir sur la terre.
 Là voilà qui chemine silencieuse
 vers le Jourdain. Là voilà qui silencieusement
 contemple les ondes sacrées.
 Une larme tombe alors de son oeil pur
 dans les ondes paisibles du fleuve.
 Et doucement les larmes s'écoulent
  l'une après l'autre, tombent dans le Jourdain,
 emportées entrainées
 par le mystère des eaux.
 
 
 

5. Chant de résignation

  Prends mon âme, fais en une lyre brillante
 avec les muscles de mon coeur fais des cordes,
 Et fais-les longues jusqu'au ciel.
 Et tes mains, ô muse, allonge-les sans cesse.

 Que les fibres de mon coeur
 murmurent et frémissent
 afin d'exprimer ma douleur immense,
 ma misère sans nom,
 afin que les cieux laissent couler
 des torrents de larmes
 et que le crépuscule et l'aube
 en soient éternellement noyés.
 
 
 

6. Chant d'amour

  En même temps que tous les bourgeons
 la Rose de mon coeur se réveille, elle aussi,
 aux chants des étoiles matinales et nocturnes,
 la Rose de mon coeur s'épanche, elle aussi.

 Lorsque le rossignol fit entendre sa voix,
 Mon coeur se fondit en larmes;
 Lorsque la nature s'endormit autour de moi,
 mes rêves se réveillèrent.

 Des myriades d'étoiles sont là haut au ciel,
 unique est l'Étoile qui éclaire mes ténèbres.
 
 
 

7. Chant de Forgeron

  Près du Joudain il y a une maison de forgeron,
 Un forgeron alerte comme un cavalier
 y fait sa besogne.
 Et en soufflant il y attise la flame,
 souffle, souffle, cela entretient
 la flamme, le feu éternel qui brûle dessous.
 Que fais-tu là ô forgeron?
 Je suis en train de préparer
 le fer pour le cheval du Messie.
 
 
 

8. Lamentation

  Au ciel sept chérubins
 silencieux comme les rêves font la besogne.
 Devant le trône de sa gloire
 ils se tiennent en rond.
 C'est là qu'ils préparent
 des étoffes lumineuses pour le Messie.
 Tout ce qui est sublime,
 Tout ce qui est majestueux,
 Tout ce qui est beau,
 Tout ce qui est noble,
 Tout ce qui est bon et pur.
 Et ceci, ils le prennent avec tout
 ce qui est clarté et Lumière.
 Et les anges, les sept chérubins,
 élèvent leurs voix d'abandonnés,
 voix de sanglots et de plaintes.
 Et jusqu'à ce jour
 elle n'est pas encore achevée l'âme du Messie.