Don Barreto Chef d'orchestre Guitare Chant
L'AVENUE (1941)

Guitariste d'origine cubaine, il arrive à Paris à la fin des années 20. Il utilisait un instrument à quatre cordes et aurait été une source d'influence musicale " exotique " pour Django REINHARDT qui allait l'écouter, vers 1932, au MELODY'S BAR (où débutera Jean Sablon).
« Il nous paraît intéressant, pour nombre de nos lecteurs, étant donné la vogue de la rumba et du son, de présenter dans cette revue, le fameux orchestre cubain Don BARRETO, considéré sans conteste comme étant le meilleur de ces orchestres typiques. Pendant l'Exposition Coloniale, s'était ouvert à Montmartre, le Melody's Bar où se dansait la biguine, le fox-trot et le " Peanut Vendor ", la seule rumba de l'époque. Premier dans le genre, cet établissement connut de suite un certain succès auprès d'une clientèle spéciale d'amateurs et de curieux.
Au début de 1932, un litige éclata entre la direction et son orchestre. Quelques musiciens d'origine nègre capable de jouer la biguine (ils n'étaient pas nombreux à cette époque) furent pressentis. Emilio BARRETO (Don BARRETO) présenta un orchestre ainsi composé : RICO fils (flûte, clarinette, saxo), H. BLACK (drummer), RICO père (accessoires et maracas), un pianiste philipin (croyons-nous) et BARRETO lui-même à la guitare. L'orchestre fut engagé, mais le jour des débuts, le pianiste fit savoir qu'il ne pourrait travailler, pour des raisons que nous ignorons. Aucun pianiste de couleur n'étant disponible, BARRETO fit appel à GOTTLIEB très spécialisé dans les orchestres étrangers, lequel débuta le soir même, au pied levé. Pour soutenir ses compatriotes cubains, le contrebassiste de haute classe RIESTRA, de passage à Paris, vint jouer gracieusement pendant deux ou trois jours avec l'orchestre, et comme il complétait heureusement cet ensemble, il fût engagé sur le champ. A ce moment, RICO père partait pour l'Espagne.
Vous dire que les premières rumbas jouées furent des merveilles d'exécution serait exagéré, mais sous l'impulsion de RIESTRA très spécialisé dans la rumba typique, des répétitions eurent lieu pour le plus grand bien de cet orchestre. Sur ces entrefaites, H. BLACK, sollicité par son ancien orchestre qui avait un bon contrat à Bruxelles quitta la troupe. Pour le remplacer, BARRETO fit appel à FRONTELLA. Ce choix ne pouvait être plus heureux, et cette fois, l'ensemble était complet, car si FRONTELLA est considéré comme l'un des meilleurs drummers d'Europe, il est sans conteste le plus fort spécialiste cubain pour l'exécution des rumbas typiques à l'aide des maracas, bongos, etc ...En très peu de temps, la rumba s'imposa, avant toute autre danse, au Melody's Bar, éliminant la clientèle de biguine, pour faire place au "Tout Paris" qui vint écouter de merveilleuses exécutions de rumbas chantées soit en solo par BARRETO, soit en quatuor par BARRETO, FRONTELA, RIESTRA et RICO. Puis ce fut la ruée des musiciens, des impresarii, des directeurs, les uns voulant disloquer l'orchestre, les autres flairant la bonne affaire, mais aucun élément ne faiblit aux tentations et l'orchestre resta intact. Les interprétations de rumbas devinrent impeccables; le public charmé par ce timbre nouveau, jamais entendu à Paris, aida au succès de cette formation, en venant l'écouter chaque jour plus nombreux, préférant ce petit groupe de cinq musiciens à d'autres présentations cubaines beaucoup plus importantes auxquelles les connaisseurs reprochent d'avoir sacrifié une partie de la couleur locale aux arrangements un peu trop jazz. Enfin, une très importante firme de disques: Columbia leur fit faire plusieurs enregistrements. Immédiatement leurs disques: " Marta ", " Quatro palomas ", " Paris biguine ", " Miss Liza ", obtinrent un très gros succès de vente et devant les propositions de Decca, Don BARRETO signa une exclusivité avec cette maison qui immédiatement les fit venir à Londres en avion en juillet dernier où leurs enregistrements furent une révélation. " Negra Consentida ", " Lamento Esclavo ", " Chichi biguine ", " Ojos Vendese ", sont des petits chefs - d'œuvres d'enregistrement, et en Angleterre c'est un véritable engouement pour ces disques.
Nous sommes persuadés que cette cohésion malheureusement si peu souvent réalisée est uniquement due à la spontanéité de l'assimilation à l'ensemble par chaque personnalité de cet orchestre. Souhaitons lui de rester un long temps, car l'orchestre BARRETO ne sera ainsi qu'autant que ses éléments actuels resteront groupés. Qu'une seule défection se produise, et tout serait à recommencer pour certainement ne jamais arriver à pareille homogénéité. L'orchestre BARRETO est parti pour la Côte d'Azur, aux Ambassadeurs du Casino de Cannes par qui il est engagé pour toute la saison d'hiver. Nul doute qu'il n'y obtienne le plus franc succès, ce que nous lui souhaitons bien sincèrement. » (Jazz Tango Dancing en janvier 1934)

De fin 1932 à mai 1934 environ la formation de Don BARRETO assure l'animation du ROBINSON, comme en attestent divers articles de presse :
« Le célèbre orchestre cubain de Don BARRETO qui, avec la chanteuse Grace EDWARDS fit les beaux jours du MELODY' S BAR achève de donner au ROBINSON cet accent de gaieté charmante que la décoration de Maurice Chalom suffit déjà à créer.» (La Semaine à Paris, en novembre 1932)
«Le ROBINSON fait fureur. Voilà l'endroit le plus chic de Paris. Imaginez cette forêt de chataigniers, ces cabanes dans les arbres, ce plein ciel bleu. Et là, deux orchestres de premier ordre: l'orchestre cubain BARRETO et l'orchestre de tango BACHICHA. Quelle singulière atmosphère, ce dancing " atmosphérique " où les plus belles toilettes de Paris, où les plus beaux bijoux se montrent, sous les rythmes noirs et langoureux des dernières créations exotiques … » (La Semaine à Paris, février 1933)
Réouverture du ROBINSON dans un décor champêtre créé par Maurice Chalom - Thé dansant de 5 à 8 avec l'orchestre cubain de Don BARRETO (La Semaine à Paris d'octobre à décembre 1933)
«L'hôtel Chatham, avec le concours du décorateur Chalom, imagina de transformer une de ses dépendances en ROBINSON : le Robinson des noces populaires et des midinettes avec ses bosquets, ses tonnelles, ses frondaisons et les loggias discrètes de ses arbres ...» (L'Illustration 4 mars 1933)
Thé-cocktail dansant au ROBINSON : orchestre cubain Don BARRETO. (Jazz Tango Dancing, janvier à mai 1934)
Don BARRETO et son «jazz étonnant» sont présentés fin 1933 au PANACHE (ex EMBASSY) et il joue également avec ses musiciens au CASINO de PARIS, en alternance avec l'orchestre de Louis VOLA. Ils sont au RESTAURANT des CHAMPS ELYSEES et, pour quelques jours, au PHENIX en 1934. On les entend aussi au CAPRICE VIENNOIS en 1934, 1935 et 1936.
La BELLE EPOQUE (ex MONTMARTRE) les accueille en 1935 : «La BELLE EPOQUE, après une courte fermeture, vient de rouvrir avec l'orchestre "Ralph BROG " (en fait Raphaël BROGIOTTI), du BAGDAD.» (Jazz Tango Dancing janvier 1935) «Albert Passerone et Louis Masprone ouvrent à nouveau le 8 mars 1935 leur cabaret-dancing : La BELLE EPOQUE. Dans le splendide cadre, 3 orchestres, dont le jazz Raph BROGIOTTI et surtout le célèbre orchestre cubain LECUONA se font entendre et applaudir.» (La Semaine à Paris, en février 1935) «La BELLE EPOQUE vient de fermer. Après avoir fait une ouverture (la 3ème dans la saison) avec assez de succès. Trois orchestres avaient été engagés; c'était trop beau, aussi cela n'a pas duré longtemps. Au bout d'une quinzaine environ, l'orchestre LECUONA et l'orchestre BROGIOTTI ont été remerciés et on fit appel au concours de Don BARRETO et son orchestre. Trois jours après, c'était la fermeture définitive.» (Jazz Tango Dancing avril 1935) En 1936, Don BARRETO accompagne les thés-dansants de la VILLA d'ESTE et, au CHANTILLY, il emploie le trompettiste Arthur BRIGGS. A la fin de la même année, son orchestre, dont fait partie Alix COMBELLE, est remplacé au COLISEUM par celui de Roland DORSAY. Début 1937, il rentre d'Italie où il a effectué une tournée et est resté plusieurs semaines au Casino de San Remo. Dans le courant de cette année là, il joue au BŒUF sur le TOIT. Le 9 février 1945, Don BARRETO et ses musiciens sont programmés au PALAIS de CHAILLOT, lors du tirage de la Loterie Nationale. En 1949, l'orchestre passe au CLUB des CHAMPS ELYSEES. Il se produit, fin 1955 au PIANO CLUB, en tant que guitariste virtuose.

Mort du musicien Don Barreto.
22/05/1997
GOMEZ François-Xavier

Chef d'orchestre et guitariste, Emilio Barreto résumait à lui seul trois quarts de siècle de présence de la musique cubaine à Paris. Né le 9 Décember 1909 à La Havane dans une famille de forte tradition musicale, il avait appris le violon au Conservatoire. En 1926, le père, dentiste et politicien, emmène toute la famille en Espagne, où Emilio et deux ses frères, musiciens eux aussi, ne restent pas: ils débarquent à Paris en 1927. Le jazz est alors à la mode, et Emilio Barreto, qui a délaissé le violon pour la guitare et le banjo, accompagne les musiciens américains. Quand le jazz cède la place aux rythmes afro-cubains, il est l'homme de la situation: en 1932, il fonde son orchestre, qui débute au Melody's Bar, et grave ses premiers 78 tours. Celui qu'on appelle désormais Don Barreto impose le son et le danzon dans les cabarets parisiens avant une pause forcée: en 1942, après l'entrée en guerre des Etats-Unis et des pays de leur zone d'influence, les Allemands enferment dans le camp de Royallieu à Compiègne tous les ressortissants d'Amérique du Sud. Ils trompaient l'ennui, se souvenait Barreto, en jouant pour les autorités du camp. Ils y resteront jusqu'en 1945. (1)

La déferlante du mambo et du cha-cha-cha, dans les années 50, remet au premier plan Don Barreto: il voyage avec son orchestre à travers l'Europe et joue pour des parterres de stars et de têtes couronnées. Se consacrant par la suite à l'enseignement de la guitare, il fait un retour remarqué au Moloko à Pigalle en 1992, porté par le regain d'intérêt pour la musique cubaine. On le verra ensuite, toujours très alerte malgré les années, reprendre comme à la grande époque la tournée des cabarets: la Java, l'Escale... En même temps paraissaient sur CD diverses rééditions (sur les labels Harlequin et Music Memoria) de ses vieux enregistrements.

Homme modeste et affable, Emilio Barreto est toujours resté fidèle aux musiques de son île natale, où il n'était jamais retourné, bien que sympathisant de la révolution. Il est mort mardi à Paris, à l'âge de 88 ans. Il sera inhumé lundi à Puteaux après une cérémonie religieuse, à 10 h 30 en l'église Saint-Pierre de Montmartre .

(1) Yannis ruel
Les soirées Salsa à Paris.
Paris, L'Harmattan, 2000.
ISBN : 2738493149