Gérard Regnier
Jazz et Société Sous l'Occupation
Préface de Pascal Ory
Éditions L'Harmattan
- Musiques et Champ social (Novembre 2009)
ISBN : 978-2-296-10134-0
(300 pages)
Prix du livre de jazz 2009

Le jazz, considéré par les nazis comme une musique "négro-judéo-anglo-saxonne" a connu, paradoxalement, un grand succès sous l'Occupation.
A partir d'une étude approfondie de l'histoire du jazz en Allemagne, l'auteur explique la présence de militaires allemands dans les salles de concerts, cabarets. Il présente la situation du jazz en Belgique, à Paris et dans les Hots Clubs de province.

 

Précédé d'une introduction de Pascal Ory et prolongé par une chronologie concise et d’une bibliographie compacte (qui eût demandée à être mieux découpée), cet ouvrage de 266 pages résume une thèse d’histoire fort consistante (sept cents pages agrémentées de 150 documents placés en annexe). Gérard Régnier braque la focale sur le jazz dans la France des années de guerre sur laquelle on n’avait jusqu’alors que peu de chose de valeur historique conséquente, à l’exception d’un article déjà ancien de Ludovic Tournès consacré à la question dans La vie musicale sous Vichy, dirigée par Myriam Chimènes, en 2001 1
Dans un registre descriptif, ce livre brosse un tableau très précis du monde du jazz sous l’occupation. Les réflexions que Gérard Régnier développa lors du colloque de Dijon sur l’Histoire du Jazz en France 2,sur le jazz à la radio (sur ce sujet très compliqué où se mêlent les préoccupations de censeurs pas toujours armés pour assurer une censure bétonnée) sont déjà présentes ici. Cet ouvrage embrasse bien d’autres domaines : le jazz sur disques, le jazz dans les clubs, brasseries et music-hall, cela est abordé avec subtilité à partir de sources indiscutables, telles les Archives de l’Assistance publique et des Hôpitaux de Paris qui gèrent le droit des pauvres et qui permettent de se faire une idée de l’économie du jazz d’une époque qui, pour la musique et les arts s’entend, est âge sombre autant qu’âge d’or. Et puis, il y a les personnes. En premier lieu, Hugues Panassié. Après un premier article publié en 1930 dans la Revue musicale puis dans Le Jazz Hot, publié en 1934, Hugues Panassié a imposé la présence d’une grande musique « noire » à côté de la « grande musique ». Entretenu et relayé par un petit noyau de puristes, son discours finira par obtenir la légitimation de cette musique. Gérard Régnier a dépouillé ses archives dans la médiathèque de Villefranche-de-Rouergue. Son futur opposant Charles Delaunay est évidemment présent 3. Très exhaustif, Gérard Régnier ne manque pas de s’intéresser aux sections locales du Hot Club de France (Marseille, Rennes, Carcassonne, etc.), ainsi qu’aux prestations jazzistiques au stalag. L’auteur aborde le cas des musiciens juifs, des Noirs, le cas Django Reinhardt, celui des collaborationnistes et la place du jazz dans la presse de l’époque, vichyssoise ou collaborationniste pour battre en brèche beaucoup d’idées reçues. Et puis, l’auteur a lu les ouvrages de l’époque et la presse qui en assure la réception notamment d’André Cœuroy.

Aujourd’hui, alors que resurgissent des polémiques liées à la période de l’occupation (autour du rôle de Jacques Chailley, secrétaire général du Conservatoire en 1940, par exemple), que de nouvelles recherches s’emploient à travailler sur la musique durant l’occupation (on attend la thèse de Frédéric Gaussin 4), l’ouvrage de Gérard Régnier est indispensable. Travail obstiné sur les sources, subtilité de l’analyse. L’auteur évite les généralités et les lieux communs. Il sépare soigneusement faits et hypothèses. Démonstration de manière fluide, prudente. On ne peut que souscrire au jugement de Pascal Ory mis en prologue de l’histoire : « Gérard Régnier est un amateur de jazz et un professionnel de l’histoire ».

 

Notes

1 Ludovic Tournès, « Le jazz, un espace de liberté pour un phénomène culturel en voie d’identification », in Myriam Chimènes, La vie musicale sous Vichy, Paris, Complexe, 2001.

2 Colloque « Histoire du Jazz en France », Dijon, 23, 24, 25 mars 2011. Les actes du colloque sont à paraître aux éditions Outremesure en 2012.

3 Voir aussi Anne Legrand, Charles Delaunay et le jazz en France dans les années 30 et 40, Paris Éditions du Layeur, 2010.

4 Voir Frédéric Gaussin, « Vies parallèles, destins mêlées : Alfred Cortot (1877-1962), Lazare-Lévy (1882-1964), deux virtuoses dans l’État français », dans Marine Branland et David Mastin (dir.), De la guerre dans l’art, de l’art dans la guerre, Paris, Textuel, n° 63, 2010.