ALFRED TOKAYER : UN COMPOSITEUR DANS LA TOURMENTE
« Alfred Tokayer, chef d’orchestre et compositeur, né le 23 mars 1900 à Köthen ». Une mention aussi lapidaire aurait très bien pu figurer, au côté de milliers d’autres, dans le Dictionnaire des juifs dans la musique publié en 1940 par Theo Stengel et Herbert Gerigk. Ce sinistre document symbolise bien l’acharnement avec lequel l’Allemagne nazie, alors triomphante, mena la chasse aux juifs dans chaque secteur de la vie sociale. Instrument d’une politique de délation à usage de la Solution finale ciblant le milieu musical, il contribua à faire déporter et assassiner de nombreux musiciens, souvent d’origine modeste, petits professeurs de musiques, musiciens de cabaret, qui n’eurent souvent pas les moyens financiers ou les contacts nécessaires pour prendre la route de l’exil. Il y a quelques années, la musicologue allemande Eva Weissweiler chercha à connaître le destin de près de deux cents de ces stigmatisés. La liste est longue de ceux dont la notice s’achève par « disparu à Riga, à Majdanek, à Auschwitz… » ; pour Alfred Tokayer, s’il avait figuré sur ce Dictionnaire, la mention eût été « disparu à Sobibor ». C’est cependant d’une autre dénonciation qu’il fut victime, venue du pays même où il avait cherché la sécurité pour lui et sa fille, la France.
Qu’il ait fallu attendre 65 ans après sa disparition pour qu’il réapparaisse en dit long sur l’efficacité de la politique culturelle nazie, qui survécut longtemps après l’effondrement du Reich de mille ans. Elle était implicite dès 1924, lors la publication de Mein Kampf. Hitler, reprend dans son programme les termes d’un débat qui secouait le débat culturel germanique depuis l’armistice de 1918, celui de la disparition annoncée de l’identité culturelle allemande. La vague révolutionnaire consécutive à la défaite, l’humiliation du Traité de Versailles et la crise économique qui s’ensuivit, l’occupation de la Ruhr par les troupes françaises, développèrent dans les couches les plus conservatrices de la population le sentiment qu’en étant ouverte par la force aux influences étrangères, l’Allemagne était sur le point de perdre son âme. Sur ce terreau paranoïaque, un nouveau nationalisme se développa qui trouva des échos dans le domaine musical chez Hans Pfitzner, lequel dénonçait en 1919 l’influence du bolchevisme et de l’américanisme, mais également la « dégénérescence » de la modernité dans l’Art.
Le nazisme saisit au vol le débat en cours, comme le montre les lignes que consacre Hitler dans Mein Kampf à l’art moderne, décrit comme « bolchevique » et dégénéré. Mais ces deux derniers concepts sont alors passés au crible de l’antisémitisme : le bolchevisme est ainsi l’arme par laquelle les juifs veulent dominer le monde, et la dégénérescence est avant tout l’apanage de la « race » juive « destructrice de culture ». Sur ces bases théoriques fut mise en place la politique musicale nazie après l’arrivée de Hitler au pouvoir, qui se traduira dès la fin 1933 par la mise en place d’un apartheid culturel avec la création du Jüdischer Kulturbund à Berlin, qui s’étendra rapidement dans toute l’Allemagne. Cette organisation culturelle était réservée aux seuls juifs qui, devenus des citoyens de second rang après les lois de Nuremberg en 1935, se virent peu à peu interdire l’accès aux salles de spectacle allemandes. En mai/juin 1938, année de la radicalisation antisémite du régime, l’exposition « Entartete Musik » (Musique dégénérée), organisée par des proches d’Alfred Rosenberg sur le modèle de l’exposition « Entartete Kunst » (Art dégénéré) de Munich de 1937, conspuait l’influence des juifs dans la musique allemande.
Alfred Tokayer n’attendit pas la Nuit de Cristal pour quitter sa terre natale. Il est né à Köthen, ville de Saxe-Anhalt où Jean-Sébastien Bach fut maître de chapelle de la cour de 1717 à 1723, dans une famille juive originaire de Bistritz, ville de Transylvanie alors intégrée à l’empire austro-hongrois, aujourd’hui roumaine. La famille vivait dans un état de pauvreté effrayant proche de ce qu’Albert Londres rapporta une quarantaine d’années plus tard dans son enquête sur les populations juives dans le monde, Le juif errant. Cette pauvreté, ainsi que la crainte des pogroms, agressions récurrentes des communautés juives dans la partie orientale de la monarchie « K und K » poussèrent de nombreuses familles à chercher fortune à l’ouest dès le tournant du siècle. Ce fut ainsi le cas de la famille de Norbert Glanzberg - futur compositeur d’Edith Piaf et Yves Montand -, originaire de Galicie, qui s’installa à Würzburg en Allemagne en 1910. Moritz Tokayer futur père du compositeur, avait anticipé cette immigration de près de vingt ans, puisque c’est en 1891 qu’il arriva à Berlin. Il épouse en 1899 Gertrud Simon, cousine de Bruno (Schlesinger) Walter. Le couple s’installe à Köthen où naît Alfred le 21 mars 1900. Il y commence l’apprentissage de la musique, qu’il poursuivra au Conservatoire Hoch de Francfort pendant l’année universitaire 1919/20, parallèlement des études de philosophie et d’économie qu’il avait entamées à Berlin dès 1918.
La vie de Tokayer est à vrai dire peu documentée, dans la mesure où la plupart des archives le concernant furent perdues au cours de son exil ou détruites pendant la guerre. Il a par exemple été impossible jusqu’à aujourd’hui de retracer avec exactitude son parcours estudiantin entre 1920 et 1924. Il étudie le piano, la musique de chambre, la direction et la composition, notamment avec Ernst Toch, grand compositeur encore trop méconnu, qui dut fuir l’Allemagne nazie en 1933.
En 1924, il est engagé à l’opéra de Brême comme chef de chant et chef d’orchestre, position qu’il occupera jusqu’en 1930. Le directeur musical de l’institution n’est autre que Manfred Gurlitt, compositeur malheureux d’un Wozzeck créé la même année que celui d’Alban Berg, et qui fut contraint de s’exiler au Japon en 1938, après avoir s’être vu interdire l’exercice de sa profession cette année-là. A Brême, Tokayer fait répéter et dirige des opérettes et des spectacles de musique légère qui reçoivent un bon accueil de la critique. Il épouse en 1927 la chanteuse Lucie Rena. De 1931 à 1933, le couple est engagé au Volksoper de Berlin. Alfred Tokayer y travaille alors avec Max Reinhardt, Oscar Straus, Theo Mackeben, les frères Vladigerov. Il est notamment le répétiteur de la chanteuse Käthe Dorsch et chef d’orchestre. Comme tous les musiciens à faible revenu, il fait des orchestrations, notamment celle des opérettes de Künnecke, alors que sa femme, tout en étant la doublure de Käthe Dorsch, arrondit les fins de mois du ménage en travaillant comme ouvreuse dans un cinéma.
A l’arrivée de Hitler au pouvoir, il est fort probable que Tokayer se voit interdire par la Chambre de Musique du Reich, d’exercer une quelconque profession musicale. La politique d’élimination juridique des juifs allemands se met en marche, et s’attaque impitoyablement à sa famille : le 5 mai 1934, elle est déchue de la nationalité allemande, si fièrement acquise en 1919, et leurs biens sont spoliés au profit de bons aryens. Moritz Tokayer se voit contraint de liquider son commerce de chaussures le 16 décembre 1935. Le compositeur s’exile alors en France, ses parents quittent l’Allemagne pour la Yougoslavie.
A l’époque, le milieu musical français n’est pas tendre devant l’afflux de musiciens, pour la plupart juifs, qui déferlent en France au gré des vagues d’immigration consécutives au durcissement de la politique nazie, ainsi qu’en témoigne l’attitude d’un Florent Schmitt qui, le 26 novembre 1933, interrompt un concert de chansons de Kurt Weill au Théâtre des Champs-Elysées aux cris de « Vive Hitler ! Nous avons assez de mauvais musiciens en France sans qu’on nous envoie tous les juifs d’Allemagne ». Schmitt est relayé par une partie de la presse qui s’empresse de dénoncer la vulgarité des songs du Lac d’Argent chantés ce soir-là par Madeleine Grey, au nom de la défense de la culture nationale. De René Dumesnil à Alfred Bruneau, de Pierre-Octave Ferroud à Lucien Rebatet, la critique se déchaîne contre « le virus judéo-allemand », « le gros contingent d’émigrés » ou « les germes de la décadence » apportée par « l’invasion des juifs d’Allemagne ». Cet antisémitisme du monde musical, qui, de latent, se révélait soudain dans toute sa crudité, faisait en réalité écho à celui qui se répandait progressivement dans la société tout entière, au sein de laquelle était en outre ravivé un ressentiment « anti-boche » hérité de la Grande Guerre. Après la mise en place de mesures réglementaires de restriction de l’emploi de musiciens étrangers, travailler relevait pour ces derniers de l’exploit comme l’écrivait le compositeur et chef d’orchestre Hans Walter David (1893-1942), exilé à Paris et qui écrivait dès avril 1933 : « Tout d’abord, mon passeport portait un gros cachet « activité professionnelle interdite » , en conséquence de quoi aucun employeur ne pouvait m’engager. En outre, tout emploi de musicien est soumis à l’acquisition préalable de la qualité de membre d’une association professionnelle ; tout chef d’orchestre doit être membre de l’association des chefs d’orchestre, tout compositeur de l’association des auteurs, mais toutes ces associations ne prennent exclusivement que des français. L’émigrant étranger est ainsi exclu de tout travail, de tout salaire ».
A Paris, Tokayer semble s’être relativement bien adapté à sa nouvelle vie. Il fréquente les milieux émigrés, mais aussi les musiciens français comme Manuel Rosenthal et Reynaldo Hahn, qui le présentent à la Comtesse Lili Pastré, mécène qui protégea dans sa propriété de Montredon à Marseille de nombreux artistes juifs pendant l’occupation. Elle apporta un soutien financier au compositeur, et pourvut à l’éducation d’Irène, la fille du compositeur, lorsqu’elle rejoignit son père en 1938. Il accompagne des récitals, et réalise des arrangements et des transcriptions, notamment pour le compositeur Maurice Thiriet, qui écrivit de nombreuses musiques pour les films de Marcel Carné. Prisonnier de guerre en Allemagne, Thiriet sera prête-nom de plusieurs compositeurs juifs travaillant dans la clandestinité comme Joseph Kosma pendant la guerre afin de leur permettre de toucher leurs droits bloqués par la SACEM. Pourquoi Tokayer s’inscrivit-il à la SABAM (société des auteurs et compositeurs belges) au lieu de la SACEM puisqu’il résidait en France ? On peut émettre l’hypothèse que sa candidature pourrait avoir été rejetée – si candidature il y eut – en application d’une politique de discrimination mise en place par la SACEM à l’égard des compositeurs fuyant le nazisme, et particulièrement des juifs. Comme le rappelle le rapport de la Mission d’étude sur la spoliation des Juifs en France, dirigée par Jean Matteoli, relatif à la SACEM et aux droits des auteurs et compositeurs juifs sous l’occupation, « lorsque les Allemands s’installent à Paris, la SACEM est, depuis une décennie, dirigée par des sociétaires qui font des étrangers, jugés trop nombreux dans la société, leur cible. Leur xénophobie les conduit à mettre en place des dispositions à caractère discriminatoires ». Cette attitude conduisit plusieurs compositeurs étrangers résidant en France à s’inscrire auprès de sociétés d’auteurs plus libérales, comme en Italie ou en Belgique. En tout état de cause, en ce qui concerne Tokayer, rien ne vient cependant étayer ce qui ne reste qu’une hypothèse.
Le compositeur se rend à Londres en 1936 pour diriger et orchestrer la musique du film La symphonie des brigands de Friedrich Feher (1889-1950), premier film basé sur une musique préalable avant Fantasia de Walt Disney. Si le film fut un échec retentissant à l’époque (il a maintenant d’ardents défenseurs), sa musique fut en revanche unanimement saluée. A Londres, il rencontre un de ses anciens condisciples, le chef d’orchestre Heinz Unger, qui avait fait ses débuts avec la Philharmonie de Berlin en 1919. Interdit par les nazis, ce dernier s’était exilé en Grande-Bretagne dès 1933, avant de s’installer définitivement à Toronto en 1948. Tokayer et Unger auraient étudié ensemble chez Ernst Toch.
Fin 1938, Tokayer est sélectionné pour participer à l’émission des Lauréats de Radio 37. Cette radio privée avait été créée l’année précédente par Jean Prouvost, directeur de Paris-Soir , et se saborda en 1940 à l’arrivée des troupes allemandes dans Paris. Dans une lettre du 27 décembre 1938, Tokayer fait allusion à la retransmission de ce concert par l’émetteur de la Tour Eiffel. Il y mentionne également ses démarches pour obtenir que ses parents soient autorisés à venir en France et à résider à Paris, et est aidé pour cela par Marcel Monteux, le fils de l’industriel de la chaussure et amateur d’art, qui fit notamment décorer sa villa d’Antibes par le peintre nabi Ker-Xavier Roussel et fut en 1931 le commanditaire de La Chienne de Jean Renoir. Il est également aidé par un M. Singer, neveu de la Princesse de Polignac, née Singer, dont le salon joua un si grand rôle dans la création musicale française de l’entre-deux-guerres. Ses démarches semblent avoir porté leur fruit, puisque lors de son incorporation dans la Légion étrangère en 1940, les Tokayer résident 12, rue Fenoux, dans le 15ème arrondissement. Dans la même lettre de décembre, Tokayer mentionne qu’il répète alors La Chatte métamorphosée d’Offenbach pour le concert du nouvel an 1938, probablement dans l’arrangement pour deux pianos qu’il en avait fait.
Peu après la déclaration de guerre du 1er septembre 1939, Alfred Tokayer est interné comme étranger ennemi au camp Sourioux, près de Vierzon, dans le Cher, camp qui avait originellement été prévu pour accueillir des réfugiés espagnols. Il rejoint ainsi le sort de la cohorte de compositeurs (Erich Itor Kahn, Marcel Rubin, Louis Saguer, Eric-Paul Steckel, Rudolf Goehr,…) qui furent maintenus dans des camps de regroupement des étrangers qui permettaient aux autorités françaises de déterminer, parmi les ressortissants de pays ennemis résidant en France, ceux qui présentaient un danger pour le pays, et ceux qui pouvaient au contraire servir l’effort de guerre. L’engagement volontaire dans la Légion étrangère permettait d’échapper au risque d’être suspecté d’appartenir à une quelconque cinquième colonne. Comme d’autres (Max Deutsch engagé dès le début de la guerre, mais aussi Erich Itor Kahn, Paul Arma ou Joseph Kosma, qui furent en revanche déclarés inaptes), Tokayer s’engage le 8 décembre 1939 dans la Légion étrangère. Il arrive au dépôt de la Légion étrangère de Sathonay le 17 décembre et y reste jusqu’au mois de mars 1940 : c’est probablement là qu’il écrivit son Cantique de Sathonay. Il est ensuite envoyé à Sidi-Bel-Abbes en Algérie, puis à Khenifra au Maroc. Il enseigne ensuite la musique au conservatoire de Meknès, où il dirige en 1940 Une journée de mon enfance pour l’antenne locale de Radio Maroc.
Démobilisé fin 1940, il
s’installe près de Limoges où il retrouve des amis et collègues parisiens. Il
continue à faire de la musique, donne des concerts, tien l’harmonium du village,
joue pour les pensionnaires d’un refuge pour enfants juifs proche, montant avec
eux une petite production de La Chanson de Fortunio d’Offenbach. Lors du
débarquement allié en Afrique du Nord en 1942, les troupes allemandes
envahissent la zone libre. Tokayer pense qu’il sera plus en sécurité dans
l’anonymat d’une grande ville et rejoint Paris. L’Abbé Robert, curé du petit
village où il s’était réfugié et dont il s’était fait un ami, lui procure une
fausse identité. Sous le nom d’André Tharaud, il retourne à Paris avec Mado, sa
compagne. Au début de 1943, il espère rejoindre l’Angleterre par Lisbonne. Mado
et lui sont arrêtés à la ligne de démarcation. Si Mado est libéré, Alfred
Tokayer prend le chemin de la déportation, d’abord par le camp de
Beaune-la-Rolande, puis celui de Drancy. Il y retrouve ses parents, Moritz et
Gertrud. Tous les trois sont déportés le 23 mars 1943 dans le convoi #53 vers le
camp d’extermination de Sobibor.
Il est aujourd’hui impossible
de savoir aujourd’hui si les pièces figurant sur le présent enregistrement
constituent l’intégrale des œuvres d’Alfred Tokayer, notamment parce qu’il
paraît curieux qu’à part sa Chanson du Vin, composée en Allemagne, tout
son catalogue soit postérieur à son exil. En revanche, le bordereau de dépôt de
ses œuvres auprès de la SABAM du 18 juillet 1939 montre qu’à cette date, il
avait composé l’essentiel des pièces qui nous sont connues, dont les trois
mélodies constituant le cycle Une journée de mon enfance (Teddy,
Berceuse, Hirondelle). La suite symphonique Une journée de mon enfance
date de 1936, mais ne semble pas avoir été déclarée à la SABAM. La Petite
Musique pour le clavecin et cordes fut composée postérieurement à 1939,
ainsi que l’orchestration de deux des mélodies, Arrière-Eté et Une
femme a passé. Ce catalogue d’exil, au sein duquel figurent une majorité de
pièces vocales, pourrait passer pour un hommage à son pays d’adoption tant il
est influencé par l’école française de l’époque, dans la mouvance de Ravel,
voire du Groupe des Six, notamment Poulenc. L’adoption du français comme langue
exclusive des poèmes retenus (ceux du poète belge Fernand Séverin (1867-1931),
d’Emile Pauly, ou de Mado, sa compagne à qui l’on doit les vers de
Soir, Obsession, Le Vagabond
et Ou vas-tu donc, mon coeur?), contribue à renforcer l’impression
d’une volonté d’adaptation du compositeur à ses nouvelles conditions de vie, à
son intégration dans la vie musicale française. Il ne renie cependant pas les
accents de la musique de son Europe centrale familiale, notamment dans le
premier mouvement d’Une journée de mon enfance, où apparaissent dans
l’écriture orchestrale de nombreuses réminiscences malheriennes. La forme des
mouvements d’Une journée de mon enfance est d’ailleurs plutôt
inhabituelle. Chacun commence par une mélodie chantée, suivie de plusieurs
digressions orchestrales : le poème ne structurant pas organiquement chaque
mouvement, leur forme relève alors plus du collage que d’un quelconque
développement. Par leur brièveté, les mélodies avec piano s’inspirent du modèle
français. Leur couleur plutôt sombre laisse à penser qu’elles ont été composées
après 1940, traduisant les angoisses de l’époque.
L’histoire des « voix étouffées du Troisième Reich » est restée longtemps dans l’ombre, et bon nombre de compositeurs qui furent les victimes de la terreur brune furent non seulement rayés du monde des vivants, mais également du souvenir des générations qui suivirent. Encore aujourd’hui, il faut à leurs familles une bonne dose d’optimisme et d’opiniâtreté pour oser parler, et revendiquer pour leur parent le droit d’être entendu. Grâce soit rendue à celle d’Alfred Tokayer, et particulièrement sa fille Irène, qui a su trouver le chemin pour y parvenir.
Amaury du Closel