1. Lodz. Genèse : le paradis perdu
À Lodz
Dans les années Trente, Lodz est une
grande ville d'industrie où se côtoient
plusieurs langues, le polonais, le yiddish,
le russe.
La rue Piotrkowska, aux imposantes
façades retentit d'activités incessantes,
on y voit passer des automobiles, des
attelages, locomotives, rouler des
tramways, on entend au loin les machines
qui font tourner les usines textiles.
Si on passe le porche de l'immeuble
portant le Numéro 88, la rumeur de la ville
s'estompe et la vie devient plus
laborieuse et familiale. Elle est rythmée
par les automnes et les printemps du
calendrier juif et, chaque semaine, par
l'entrée du sabbat. Les cours intérieures
s'ouvrent l'une vers l'autre et sont
rarement silencieuses. On y entend
toujours l'appel d'une mère, le jeu des
enfants, le chant d'un artisan. C'est ici
que Haïm - personnage dont ce
spectacle retrace la vie - vit ses premières
années.
Un univers de musiques
Dans cette ville, la musique est proche
des hommes. Les industriels et banquiers
financent des orchestres pour agrémenter
la vie moderne ! La musique, le chant ou les mélopées, c'est aussi la vie de
chacun, comme l'autre versant du
monde, comme une fenêtre ouverte vers
la joie, vers une vie sans entraves, vers le
rêve de tous les accomplissements.
Un monde de musiques juives
Haïm est né en 1922 dans une famille hassidique
où la musique est présente de multiples
façons. Il y a le chant des prières, avec
ses mélopées et nigunim emprunts de
joie et de sentimentalité ; il y a les
mélodies yiddish, un monde de foi,
d'amour de la vie et de mélancolie. De
son père, un « Ba'al tefilah» qui chante les
prières à la synagogue de Lodz, il
s'imprègne de la liturgie hébraïque de
Pologne, alors que sa mère lui chante les
chansons yiddish de l'enfance.
L’appel de la musique classique
Dès son jeune âge, Haïm est attiré de
façon mystérieuse vers la musique
classique, et tout particulièrement le
violon, dont il tombe littéralement
amoureux. Tout jeune, il veut apprendre à
jouer de cet instrument envoûtant. Cette
passion le pousse à se faufiler parmi les
grandes personnes aux concerts de
l'Orchestre Philharmonique de Lodz où se
produisent les grands interprètes de
l'époque : Bronislav Hubermann, Joseph
Szigeti, Arthur Rubinstein… Il découvre progressivement les grands concertos
pour violon et est spécialement attiré par
Mendelssohn, Beethoven, Brahms.
Violoniste professionnel, son voisin
polonais chrétien l'initie à la virtuosité et
aux morceaux de bravoure très prisés à
cette époque : Wieniavski, Kreisler, Korngold, Sarasate, Monti…
2. Auschwitz. Du ghetto à l’enfer concentrationnaire
La musique, ultime refuge
Dans le ghetto de Varsovie, le public ne
ratait pas les concerts. Les concerts
symphoniques, quant à eux, étaient pris
d'assaut. Un défi à la détresse ? Non. Ce
n'est pas la volonté du défi qui poussait
les affamés, les désespérés, vers les
salles de concert, mais plutôt la
recherche d'une consolation, d'un peu de
réconfort. Ceux qui à chaque instant
craignaient pour leur vie, ceux qui
végétaient, en sursis dans des situations
inhumaines, étaient à la recherche d'un
refuge, d'un havre, pour une heure ou
deux, quelques moments préservés,
quelques fragments de bonheur,
l'aspiration à un contre-univers. Ceux qui
se pressaient dans les concerts c'étaient
surtout les amoureux, bien qu'il y eût
aussi des solitaires et des naufragés.
Ceux qui s'étaient trouvés se voyaient
confirmés dans leurs sentiments par la
musique. Il en allait de même dans le
ghetto de Lodz. Theodore Ryder, un
grand pianiste, était l'organisateur de la
vie, ou plutôt de la survie musicale, au
moyen de concerts et d'un orchestre
symphonique où prit place Haïm.
La musique, passe-temps des
bourreaux
Dans l'enfer du monde concentrationnaire
nazi , la musique avait sa place.
Auparavant, elle avait fait partie de la vie
des déportés. Mais au camp, elle faisait
également partie de la vie des bourreaux.
Les bourreaux, eux, ont peu à peu étouffé
la musique dans les ghettos, à Lodz
comme à Varsovie, puis ont exploité à
leur profit les musiciens réduits en
esclavage.
Dès que la guerre éclate, Haïm est
enfermé avec ses parents dans le Ghetto de Lodz. Il n'a que dix-sept ans, mais
ses capacités musicales le conduisent vers l'orchestre des adultes du Ghetto
dirigé par le grand pianiste Théodore Ryder. Dès lors, le violon devient le fil
d’Ariane qui lui permet de traverser l’enfer de la Shoah et de survivre. Du camp
de Poznań (KZ Posen fut le premier Campnazi de la Pologne occupée) - où il est forcé sous peine de mort de jouer pendant les exécutions
par pendaison - aux mines de Janina - desquelles il survit – en interprétant des
chansons de Noël pour adoucir ses gardes polonais. Sa musique lui permet alors
d’obtenir quelques restes de repas pour ne pas mourir de faim. A Auschwitz, il
est sélectionné par les nazis pour rejoindre à l’orchestre du bloc 15 et survit
miraculeusement jusqu’à la Marche de la Mort. Dans les derniers jours de
celle-ci, Haïm parvient à s'enfuir en Allemagne. Dans le dénuement le plus
total, avec son violon comme dernier espoir d’une existence enfin supportable.
En terre allemande, il trouve refuge dans le grenier d'une maison. Il est caché
par une veuve, qui a perdu ses deux fils à la guerre, et qui joue de la cythare.
C'est à Altötting, près de Salzbourg, que Haïm assiste à l'arrivée des
Américains. C'est là qu'il se marie et prend la décision de partir en Israël,
vers la liberté, vers un nouveau commencement, dans l'espoir de trouver enfin
une vie de paix.
3. Haïfa. Terre promise : Israël et le Nouveau Monde
Libération
En terre allemande, il trouve refuge dans
le grenier d'une maison. Il est caché par
une veuve, qui a perdu ses deux fils à la
guerre, et qui joue de la cythare. C'est à
Altötting, près de Salzbourg, que Haïm
assiste à l'arrivée des Américains. C'est là
qu'il se marie et prend la décision de
partir en Israël, vers la liberté, vers un
nouveau commencement, dans l'espoir
de trouver enfin une vie de paix.
Une autre vie
Un jour, dans son nouveau pays, Haïm se
rend au lieu où se tiennent les auditions
pour entrer à l'orchestre philharmonique
d'Israël. Il hésite, fait plusieurs fois le tour
de l'immeuble, sans passer la porte, et
rentre finalement à Haïfa, la ville où il vit
encore aujourd'hui. À la maison, il donne
à son épouse les raisons de son choix :
Israël n'a pas besoin de musiciens, mais
de bâtisseurs ! « Il appartiendra à nos
enfants et à nos petits enfants de
continuer dans la voie de la musique ».
C'est ainsi que Haïm devint technicien en
électricité après des études au Technion
(équivalent de l’école polytechnique) de Haïfa.
Postérité et transmission
Lorsqu'il a pris sa retraite, Haïm est
revenu à sa passion de l'enfance et s'est
remis au violon. Il joue aujourd'hui dans
l'orchestre symphonique du Technion et
dans plusieurs formations de musique de
chambre. Tous ses enfants et petitenfants
sont des musiciens qui se
produisent de par le monde et qui
exercent des activités pédagogiques. Son
fils est violoncelliste et chef d'orchestre
aux États-Unis. Sa fille est violoniste,
a n c i e n memb r e d e l ' o r c h e s t r e
philharmonique d'Israël et de l'orchestre
de Paris. Haïm a cinq petits enfants dont
deux sont des musiciens professionnels
(harpe et violon). La troisième joue de la
flûte, la quatrième aux États-Unis joue du
violoncelle, et la plus jeune, 14 ans, joue
du violoncelle et du piano. Son rêve semble s'être réalisé. Enfin.
Haïm à la lumière d’un violon
Spectacle musical et théâtral
Mercredi 8 décembre 2010 à 20 h (Création à Paris)
http://borzykowski.users.ch/HAIM.pdf
Texte et mise en scène de Gérald Garutti
Narrateur : Xavier Gallais
Musiques de Bloch, Mendelssohn, Wieniawski, Szymanowski, Enesco, Kreisler, Bartók, Bach, Chopin, Bernstein, Bruch.
Et musiques klezmer traditionnelles, chansons yiddish...
Interprétées par :
- Naaman Sluchin, violon
- Dana Ciocarlie, piano
- Alexis Kune, accordéon
- Samuel Maquin, clarinette
Le spectacle est repris à partir du samedi 28 janvier 2012
Gérald Garutti et la compagnie C(h)aracteres
Artistes : Xavier Gallais, Naaman Sluchin, Dana Ciocarlie, Duo les Mentsh : Alexis Kune, Samuel Maquin
Avec le soutien de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah
Vingtième Théâtre, Paris
7, rue des Plâtrières 75020 Paris
Réservations : 01 43 66 01 13
Haïm à la lumière d’un violon est avant tout un hommage ; quatre musiciens et un narrateur saluent le destin de Haïm Lipsky, violoniste juif né à Lodz, rescapé d’Auschwitz.
À sa sortie du camp, Haïm rejette le polonais pour ne plus parler que deux langues : le yiddish et le silence. Aujourd’hui, à 87 ans, il parle hébreu. Mais toute sa vie, sa langue de cœur aura été la musique.
En elle comme chez lui résonnent l’optimisme de la vie, la pudeur de l’humour et la résilience du combattant. A chaque instant, le chemin de Haïm a baigné dans la lumière du violon – lueur fragile qui, seule, le sauva de l’extermination nazie.
Ainsi, d’une époque à l’autre, d’une musique à l’autre, mélodies klezmer et morceaux classiques scandent la vie de Haïm, avec un égal souci de vérité.
Un violon, une clarinette, un accordéon, un piano et une voix suggèrent l'essentiel de ce parcours inouï, de la Pologne natale à la Terre promise, de la destruction du Yiddishland à la fondation de l’Etat d’Israël –
grâce au miracle d’une survie à la Shoah. Et, à travers ce récit, se dessine un destin où se fondent mémoire et survie, musique et transmission.
Gérald Garutti
Haïm, à la lumière d'un violon
Robert Laffont (5 novembre 2015)
ISBN : 978-2221156186